Aménagement durable et éco-quartier, ne tirons pas sur le pianiste !

Aménagement durable, éco-quartier, éco-ZAC, quartier HQE, urbanisme raisonné, projet de quartier durable… Les termes fusent pour qualifier ces bouts de villes nouveaux ou requalifiés, dont certains ont été primés récemment dans le cadre de l’appel à projet du Meeddm. 28 primés parmi 160 dossiers déposés, parce qu’il faut bien choisir, certes ! mais le palmarès (lauréat ZAC de Bonne – Grenoble) ne contribue pas tellement à l’émergence d’une définition commune.

La partition institutionnelle de l’aménagement durable commence à se mettre en place, et forcément certains se positionnent en tirant sur le pianiste. Palmarès dépassé par les avancées du grenelle pour certains, ou trop axés sur les enjeux environnementaux, trop ambitieux et non reproductibles pour d’autres, ou encore souffrant d’un classement par thèmes qui « revient à nier le caractère transversal de toute démarche de développement durable ».

Pourtant avant toute intégration explicite du développement durable, l’urbanisme est une démarche systémique, portée par l’aménageur et l’urbaniste, avec d’autant plus de pertinence que cette démarche est comprise par le donneur d’ordre public. 

L’urbanisme existait déjà sans l’aménagement durable 

Le pilotage des projets d’aménagement, en particulier dans les cas de gouvernance composite (ex : intercommunalité, OIN…) est un outil essentiel de sa réussite, dans le temps souvent très long de l’urbanisme, par-delà les mandats électoraux notamment. Si l’intégration d’objectifs de développement durable ne bouscule pas cette nécessité du pilotage, elle peut permettre de le préciser en apportant de nouveaux jalons.

Par exemple, une collectivité mandate une SEM pour l’aménagement d’un quartier très ambitieux sur le plan environnemental. Parmi les lots se trouve un jardin public, dont la maîtrise d’ouvrage, le financement et l’exploitation seront confiés à la collectivité via sa direction des espaces verts, laquelle direction budgète son jardin avec ses ratios habituels. Problème : le cahier des charges de l’aménageur S qui parvient avec les documents de la direction – maître d’ouvrage aux équipes paysagiste/bureaux d’études comporte l’obligation de mettre en place une installation photovoltaïque qui doublerait presque le prix budgété pour le parc. Plus d’un an après le concours, la situation n’est pas clarifiée. Indépendamment de l’identité du fautif, cette situation éclaire un manque de jalon pour l’intégration des impacts financiers des exigences spécifiques à l’opération.
Piloter une opération d’aménagement durable implique de renouveler, ou redéfinir les jalons qui permettent son développement. Imaginer que l’on peut décliner à outrance les indicateurs pour en intégrer les valeurs aux arbitrages est une erreur contre-productive. 

L’aménagement durable  

Dans notre pratique de la maîtrise d’œuvre ou de l’assistance à la maîtrise d’ouvrage dans des opérations de constructions, nous constatons à quel point les ambitions durables de la collectivité sont mal relayées. Nous sommes convaincus que l’implication de l’environnement dans les projets d’aménagement ne doit pas se cantonner à des cahier des charges de cession de terrain ou autres fiches de lot comportant des exigences environnementales que l’on retrouve si souvent dans les cahiers des charges donnés aux opérateurs de la construction, promoteurs et maîtres d’œuvre. Ces « programmes environnementaux » ou « programmes HQE » – qui devraient avoir toute leur légitimité tant ils traduisent l’ambition de l’aménageur et de la collectivité – sont trop rarement étayées par des études sérieuses de faisabilité technico-économique, ce qui les rend contre-productifs par rapport à la performance environnementale visée.
Non pas que les objectifs fixés aux opérateurs, promoteurs et/ou maîtres d’œuvre soient trop faibles, mais le plus souvent que, au contraire, désireux de bien faire le conseiller en environnement de l’aménageur produit de l’exigence, et semble être plus souvent rémunéré au kilogramme de papier qu’à la pertinence des dites exigences. Par exemple lorsque la production d’électricité photovoltaïque exigée d’un lot accueillant un immeuble de bureau sur une ZAC implique la couverture totale de sa toiture et de ses façades, y compris les ouvrants !! L’électricité produite permettra, c’est sûr ! d’éclairer les surfaces ainsi plongées dans l’ombre…un non sens énergétique. Où est la faisabilité préalable qui permet de caler le niveau d’exigence sur des fondements techniques et économiques validés ?
Intégrer aux programmes des exigences non étayées par des études de faisabilité relève de la tromperie dont la victime potentielle est la collectivité (surcoût parce que les objectifs ont été maintenus, ou abaissement des performances parce que les budgets on été maintenus).

Proposition de jalons

Sur le plan environnemental, l’échelle du territoire est un vivier d’opportunités pour la maîtrise et la réduction des impacts de l’activité humaine, qu’il s’agisse d’habiter, de travailler, de se cultiver, d’avoir des activités de loisirs, de consommer…

De ce point de vue, un projet d’aménagement durable ne devrait pas pouvoir oublier les jalons suivants :

  • Estimer systématiquement les impacts financiers des propositions spécifiques, notamment dans le cas de production d’énergie
  • Intégrer au plan masse et scénario de programme les opportunités et contraintes du site, en fonction des usages visés. En particulier, le confort des espaces extérieurs doit être abordés dès les phases amont du projet (écoulement des vents, ensoleillement…) car il peut impacter les règles d’urbanisme (prospects, plan masse et orientation des bâtiments…)
    • Equité d’accès aux infrastructures de transports : le bilan carbone peut être un outil pertinent d’aide à la décision,
    • Planification énergétique : Estimer ce que l’on consommera, en chaud, en froid en électricité permet aujourd’hui d’identifier des opportunités de mutualisation de production ou d’échange énergétiques entre des usages complémentaires. La performance individuelle des bâtiments, portée par des exigences réglementaires ou normatives, rend souvent caduque les solutions de réseaux de chaleur standards où la forte consommation des bâtiments est compensée par un faible prix de revient du kWh final.
    • Maintien de la biodiversité : Valoriser des études d’impacts aujourd’hui trop ternes et peu contributives à la qualité des projets,
    • Traitement des eaux pluviales, la parcelle seule est un espace trop confiné pour en avoir une gestion raisonnée
    • Traitement différencié des déchets, collecte pneumatique
    • Traitement du bruit
  • Définir des exigences : Un programme ne doit pas figer des solutions mais exiger des performances cohérentes avec des études de faisabilité validées.
Il ne s’agit pas de remplacer les propositions de l’urbaniste et de l’aménageur mais de leur donner des arguments plus tangibles pour les arbitrages urbains à mener, quitte parfois à rappeler l’aménageur et la collectivité à leurs engagements ou objectifs de performance …