Institut du Monde Arabe : Rénovation des Moucharabiehs – Interview de Loic DURAND – SPECTAT

C’est l’Opéra Bastille qui les a réunis en 1985. 30 ans se sont écoulés depuis les plans de l’Opéra et pourtant ce sont les deux mêmes ingénieurs curieux de tout qui s’envoient des photos de moucharabiehs démontés ! Aujourd’hui, leur nouvelle aire de découverte s’appelle l’Institut du Monde Arabe.

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L’histoire de SPECTAT et d’ALTO Ingénierie, c’est avant tout la rencontre de deux hommes passionnés, de mécanique, de vis et de bouts de ferraille, capables de passer des nuits en bleu de travail pour faire fonctionner un prototype de plancher amovible au milieu du salon (on le retrouvera grandeur nature à l’Opéra Bastille quelques années plus tard), qui font des tandems « fait maison » la marque de fabrique de leurs enfants et petits-enfants, bref, deux vrais passionnés, respectueux du travail et des idées de l’un et de l’autre malgré leurs différences et leurs caractères. L’un a fait des plans, études et conception son quotidien, l’autre aime l’atmosphère du travail manuel en atelier, le montage et le démontage le fascinent.

Fidèles à leurs idées et à leur amitié, quand ALTO a été missionné sur la rénovation de l’IMA, il ne pouvait y avoir personne d’autre que SPECTAT pour s’attaquer à la mécanique des moucharabiehs ! 30 ans après, « ça recommence » et il y a fort à parier qu’un prototype de moucharabieh se retrouve dans le salon de l’un ou de l’autre en guise de fenêtre …

SPECTAT, c’est l’ingénierie au service du spectacle, des décors et de la scène, qui conçoit et réalise des folies comme les scénographies spectaculaires de certains défilés Chanel au Grand Palais : Loïc Durand, son fondateur, a lié l’ingénierie à sa passion pour le spectacle. Ingénieur des Arts & Métiers, ancien joueur de rugby, puis en charge de la coordination entre la machinerie de scène et le bâtiment à l’Opéra Bastille, une idée à la seconde, il n’est pas vraiment du genre à s’ennuyer…Après un café et 15 pages de note, les moucharabiehs n’ont plus de secret !

 

Loic, tu travailles depuis 10 mois sur ce projet, quelle est la mission de SPECTAT ?

«Nous sommes sous-traitants pour ALTO Ingénierie sur une mission de rénovation des moucharabiehs. C’est passionnant ! »

 
Qu’étudiez-vous sur les moucharabiehs ?

« Tout d’abord j’aimerai rendre un grand hommage à Germain Jardat, de Cegelec, à l’initiative de cette merveilleuse mécanique, et préciser mon profond respect au concept architectural développé par Jean Nouvel. En moins d’un an, un travail fantastique a été réalisé : études, prototypes tests, fabrication et installation des 240 panneaux, et mise en route. Aujourd’hui qui est capable de faire cela ??? Il y a fort à parier qu’avec 2 mois de recul ils auraient pu faire un second tour pour le second ordre (le détail). Globalement, les panneaux ne sont pas abimés mais certaines choses n’ont pas eu le temps d’être suffisamment finalisées.

En nous appuyant sur nos collaborateurs de l’époque (L’IMA était contemporain du projet de l’Opéra Bastille où JP. Mouillot et moi-même intervenions en maîtrise d’œuvre), nous avons retrouvé le concepteur des moucharabiehs pour le compte de Cegelec. La rencontre avec cet homme a été déterminante ; M. Jardat nous a fait découvrir le local de maintenance des moucharabiehs, nous a remis un ensemble de documents comme le DPGF de l’époque, le devis de l’installation électrique, un des contrats de maintenance, et surtout nous a éclairé sur ce qui avait guidé sa conception 28 ans plus tôt.

Nous avons retrouvé dans le local maintenance le précieux plan d’ensemble n°IMA DOE 13-02- 87 2/5 50000, mis à jour pour « Récolement » le 12.02.87. Génial !

Notre travail s’est déroulé en plusieurs étapes : D’abord, relever les problèmes ! En identifiant les problèmes, on pourrait chercher des solutions. Ca a donc commencé par le démontage de deux panneaux : 1 bien abimé et 1 autre à peu près en bon état.
Nous les avons rapatriés à l’atelier pour tout démonter, en prenant soin de garder le 1er comme témoin, et l’autre nous l’avons « désossé ».  

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Moucharabieh en inspection à l’atelier © SPECTRAT – Loic Durand

A. Mécanique

a. Les frottements
C’est de l’aluminium anodisé qui a été utilisé : ce matériau est bien adapté du point de vue de la tenue dans le temps, mais présente de mauvaises caractéristiques de frottement. Notre travail a donc consisté à trouver une lubrification spécifique, adaptée, en collaboration avec des sociétés de lubrification industrielles.
D’autre part, lorsque c’était possible, les petits galets en bronze ont été remplacés par des roulements à billes miniatures.
Sur les grands moucharabiehs, nous avons mesuré l’effort avant et après la lubrification, le résultat est de moins 80%.

b. La tringlerie
Avant tout, il fallait comprendre comment cela bougeait ? A partir de chacun des deux vérins, la tringlerie de manœuvre est composée de lanternes en fonte d’alu, de tringles en barre d’inox 304 L, et de coudes de raccordement des tringles. Les guidages des tringles se sont décalés car il y a eu des efforts trop importants. Par ailleurs, les lanternes de vérin montrent également une déformation importante, il y a un glissement des assemblages buté de gaine/tringle et l’entraineur de l’iris central est déformé ou brisé sur la plupart des panneaux.
Le principal point faible se situe au niveau de l’élément « 24 », ce palier situé à proximité du vérin droit. Cette pièce reçoit des efforts importants, mais elle est instable car sa fixation au châssis est mal réalisée (possibilité de décalage du palier, entraînant un arqueboutement de la tringle qui le traverse). Le dysfonctionnement d’un élément côté droit (grands et moyens iris) entraine systématiquement la ruine d’un élément côté gauche (petit iris).

c. Les coudes push-pull
Ils se sont dégradés, nous avons beaucoup travaillé à la façon d’améliorer leur fonctionnement : Il fallait faire en sorte que les câbles n’aient plus à « pousser ». Nous avons rajouté des coudes pour « boucler » les circuits de manoeuvre.
D’autre part, tout était monté de façon rigide à l’origine : Nous avons donc également introduit du « mou » (caoutchouc). En butant sur le caoutchouc, on sécurise et on amortit, car l’intensité monte progressivement dans le circuit électrique, jusqu’à déclenchement du fusible de protection (rajouté). Sur les vérins, nous avons placé des « silent-bloc » avec le même objectif ; Le choc en fin de course est amorti et moins violent, c’est plus souple. Amélioration des coudes et introduction de la notion de « mou » pour qu’il n’y ait pas de points durs et que la protection par fusible joue son rôle.

 

B. Electrique

a. La tringlerie
Alimentés à l’origine en 24V par un coffret situé dans les faux plafonds. Une fois démontés, nous nous sommes rendu-compte (en les montant sur un banc d’essai) que ces vérins pouvaient pousser jusqu’à 565 kg, alors que les coudes ne résistent qu’à 32kg en compression. Contradiction dans les forces, une telle poussée est bien trop importante et a entraîné la ruine de nombreux câbles par flambement.
Par ailleurs, les disjoncteurs posés dans les coffrets d’alimentation étaient prévus pour fonctionner en courant alternatif, alors que les vérins sont alimentés en courant continu ; Jamais aucun disjoncteur n’a sauté ! Les vérins ont pu pousser 565kg sans que rien ne disjoncte… Il y a eu une absence totale de protection dans la poussée des vérins, entraînant beaucoup de casse ! Pour protéger la mécanique, il faut que cela « saute ». La mise en place d’une protection électrique convenablement dimensionnée aurait limité la casse de beaucoup de pièces.
C’est ce que nous avons fait en introduisant un petit fusible bouteille sur chacun des circuits imprimés implantés à proximité des vérins.

b. La puissance
Nous avons décidé de diviser par 2 la vitesse sur les grand & moyens moucharabiehs et par environ 4 la vitesse des petits moucharabiehs, car cela allait inutilement vite. Dorénavant tous les iris d’un même panneau démarrent et s’arrêtent en même temps.
En divisant les efforts par 10, et la vitesse par 2, on consomme 20 fois moins qu’avant.
Les 240 moucharabiehs étaient divisés en 5 zones car sinon l’appel courant était été trop important. L’ouverture/ fermeture se faisait en 9 secondes, zone après zone.
Dorénavant, l’abaissement de la puissance consommée permettra le lancer les 5 zones en même temps, avec une durée d’ouverture (fermeture) de 18 secondes. « Scénographiquement », c’est beaucoup mieux !

c. L'acoustique
Enfin, en ayant baissé la vitesse on a aussi considérablement réduit le bruit ; aujourd’hui il n’y a plus que le léger ronronnement des moteurs alors qu’avant le bruit était terrible. On a donc également gagné en confort acoustique.

 

Sûrs de vos préconisations ?

«Le prototype réalisé est sûr à 100%, nous l’avons testé à l’atelier ! Nous avons conservé les 2 panneaux : celui qui est toujours abimé, et l’autre, complètement réparé selon les préconisations faites dans l’APD. Pour certifier la durée, nous avons fabriqué un boitier qui pilote l’ouverture et la fermeture toutes les 45 secondes, jour et nuit. Nous avons fait tourner pendant 50 jours en continu, ce qui équivaut à une simulation sur 18 ans ! Donc la notion pérennité de la réparationde  est validée.

Nous nous étions interrogé sur l’empoussièrement, mais il y a finalement peu de poussière dans la configuration en place, cela ne génère pas de dysfonctionnement. Un programme de maintenance est prévu car si certaines pièces seront lubrifiées à vie, d’autres ne le seront pas, et il faudra donc entretenir et gérer l’empoussièrement, la lubrification, la vérification de l’intensité et l’évolution des frottements. L’utilisation simple d’une pince ampérométrique permettra de vérifier qu’il n’y a pas d’accroissement de l’intensité, ce qui révélerait des frottements.»

Je m’interroge dans le prolongement des résultats de l’étude d’ALTO : Ne faut-il pas d’ores et déjà imaginer un pilotage local de chacun des panneaux ? » A suivre !

  

ima 5Schéma de principe d’un moucharabieh – SPECTAT

Les Moucharabiehs en image © Crédit photos – Agence LAECA